1) La composition
Le tableau est divisé en parties quasiment égales par une ligne verticale séparant le côté obscur à gauche et la clarté à droite, assombrie dans son extrémité. Les personnages sont répartis sur toute la longueur du tableau et se détachent par le contraste qu’ils provoquent du fait de leur couleur gris clair sur un fond très sombre. L’absence presque totale de perspective accentue une impression de désordre. L'œil ne sait pas trop où s'arrêter, il est sollicité de toutes parts, des formes géométriques, des contrastes blancs et noirs violents s'entrechoquent et donnent une impression de chaos. Une multitude de plans gris perturbent la lecture de l'image.
La composition forme un triangle, dont la base est le guerrier mort. Les dimensions, 782 x 351 cm, monumentales, renforcent les sentiments du spectateur : la terreur, la pitié, l’indignation…
2) La couleur
Les premières études de Guernica furent réalisées en couleurs, mais Picasso a choisi délibérément le noir, le blanc, le gris et les éclairages violents pour développer ce sujet tragique qui est la guerre. Il voulait aussi insérer une touche de rouge pour évoquer le sang mais la couleur s’est avérée inutile.
Tête de femme
Crayon et craie de couleur sur papier,1937
Femme avec enfant mort
Crayon et craie de couleur sur papier, 1937
3) Personnages
Dans le panneau de droite, le feu a atteint une femme qui implore encore un secours impossible. Prisonnière dans sa maison, l'incendie la dévore, l’incendie l'engloutit. La claustration est suggérée par la petite fenêtre blanche inaccessible, blanchie par la lumière, que la femme semble vouloir atteindre.
Une poutre brisée est tombée sur elle ; le toit s’est effondré.
Les flammes forment des pointes triangulaires et ressemblent à des poignards, dangereux, menaçants. La femme hurle. La bouche, grande ouverte est édentée : elle signale un être privé de défense, inoffensif.
Les yeux sont dilatés par l'épouvante. Les deux bras tendus et les mains aux doigts écartés cherchent désespérément une dernière prise pour échapper à une mort évidente…
Une forme onduleuse surgit de l'extérieur, au visage doux et au regard empli de pitié. Elle fait irruption dans cette scène de carnage et de mort, en tenant une lampe qui n'irradie aucune lumière dans son long sillage.
Dès la première ébauche de Guernica cette figure était présente.
Elle assume donc un sens très fort dans la fresque de Picasso. La torche nous renvoie à toute la tradition dans l'art des figures symboliques de femmes portant des lampes, des torches comme la très célèbre statue de la Liberté de Manhattan. Elles incarnent l'avenir, la sagesse, l’espoir.
Cette femme, ci-dessous, qui accourt portait dans une version précédente un enfant mort et pleurait.
Elle est pathétique dans son élan de communion avec la souffrance du cheval.
La déformation monstrueuse du corps, des pieds, répond en symétrie aux mains grandes ouvertes du guerrier.
Les yeux de la mère en forme de larmes, traduisent son immense tristesse et contrastent avec sa langue pointue vengeresse.
Son visage est tourné vers le ciel, vers la provenance des bombes meurtrières, vers une force divine…
La mère défie au plus près la bête, la tête tendue.
La tendresse de ses bras qui enveloppent la frêle victime, la grâce du petit corps inerte au visage angélique, aux pieds menus, en font un groupe de Pietà.
« Le taureau est un taureau, (...) c'est tout. Il n'y a pas de relation politique pour moi ; obscurité et brutalité oui, mais pas le fascisme. » , Pablo Picasso.
Le taureau, dans un mouvement enveloppant, possessif et comme protecteur, encadre le groupe de la mère hurlant de douleur, son enfant mort dans les bras. Le corps vigoureux du taureau en grisé, les poteaux noirs des pattes comme étrangers à la tête et au poitrail dans la lumière, la queue flottant en bannière victorieuse, signent une force brute et dominatrice. Il symbolise la violence.
C'est le mythique et monstrueux Minotaure qui intervient pour introduire une présence ambiguë et menaçante. L'iconographie tauromachique est une composante fréquente de l'œuvre de Picasso.
Le taureau symbolise la force brutale du peuple triomphant.
Tombé symboliquement entre les têtes du taureau et du cheval, l’oiseau représente la colombe, le symbole de paix. Blessé, il exprime sa douleur, tête levée vers le ciel, bec ouvert. Diverses lignes de fuite et des raccourcis de perspective dans le tableau Guernica perturbent les repères spatiaux : la scène se déroule à l'intérieur comme à l'extérieur.
Au milieu du tableau, un cheval agonisant attire notre attention .Il symbolise, des dires même du peintre, le peuple.
La lame acérée dans sa gueule signale son courage au combat; mais une lance ennemie l'a atteint mortellement. Une large plaie béante en forme de losange veut communiquer au spectateur la souffrance vécue par l'animal. La contorsion impossible représentée par le peintre décuple l'impression de douleur indicible, d'épouvante de la fin imminente.
Les sabots du cheval sont ici protecteurs. Ils entourent en effet le corps du soldat. Ils marquent l'union étroite entre le peuple et ses combattants.
« La lance qui transperce le flanc du cheval rappelle celle qui blesse la poitrine du Christ. La crucifixion est l'archétype de la souffrance et de l'agonie. » (analyse empruntée à W. rubin, L'Art dada et surréaliste)
Au sol gît le combattant mort, décapité, le bras sectionné crispé sur une épée brisée d'où surgit une fleur. L'enchevêtrement des membres du corps entre les sabots du cheval scelle leur union sacrée dans leur lutte commune. La dentition, ici dessinée avec précision, signe chez Picasso la force combattive. La décapitation, le bras tranché, démontrent l'horreur de la guerre.
Des formes triangulaires, des lignes, une flèche, un morceau de bois brisé, participent à une impression de mêlée confuse et structurent les surfaces.
Picasso avait d'abord représenté un soleil, puis cette lampe électrique. La lampe à pétrole, tendue par un bras ami, est-ce l'espoir, fût-il faible, d'un soutien pour continuer la lutte ?
Notons que l'ampoule en espagnol est la " bombia " qui est aussi une métaphore poétique pour la bombe.
Frêle, comme l'oiseau blessé, la fleur qui surgit du poing encore vigoureusement serré du combattant mort, présente au centre de la composition une lueur d'espoir, de vie. Sa délicatesse, sa fragilité résonne face au désordre et à l'horreur de la scène. L'épée brisée complète la symbolique de paix.
« Toutes les figures des études de Picasso pour Guernica souffrent de la douleur suprême, elles n'expirent rien, elles reçoivent l'injure de la souffrance immédiate. Et elles n'acceptent pas, elles suent de fureur ». Paul Eluard
|